Les étoiles déchues finissent leur course dans l'abîme.
Et l'astre pâle se noie dans l'écume.
Le son du silence. Requiem de la nuit. Gloire à Dieu au plus au des cieux. Dieu? Mais Dieu n'existait pas. Les vampires avaient l'éternité pour le savoir. Ai y compris. Ai dont la sueur perlait au front. Un feu dans la gorge. Une sensation qui la ramenait à son horrible vérité. Être un monstre.
La jeune fille s'dossa au mur un instant. Elle aurait donné n'importe quoi pour ne pas se trouver dans cet état. Au bord de la rupture. "Il y a peu qui sépare un level A d'une level E". C'était tout aussi vrai pour le level B. Elle ne savait plus qui avait dit cette phrase mais c'était juste. Enfin. Pour en revenir à la situation présente, même poursuivre le cours d'éthique lui paraissait préférable. Même s'il aurait fallu qu'elle écoute ces naïvetés sur la pacificité et la cohabitation vampire-humain. Un tissu d'illusions sordides. Rien que d'y penser, la petite japonaise en avait mal au crâne. Le jour où ça arriverait, les poules auront des dents et les cochons voleront. En attendant, les vampires resteraient d'éternels prédateurs et les humains, de misérables proies.
"Oui... Des prédateurs... Différents à jamais de ces frêles figures de chair..."Ai Enma ferma les yeux à cette pensée. Même en ayant vécu et grandi au sein d'une famille mortelle mais aimante, impossible d'échapper à soi-même. Elle en savait quelque chose. Mélancolie lancinante.
Depuis son arrivée à l’académie Cross, la petite aristocrate ne s’était mêlée ni à ses congénères, ni aux autres.
Les uns, elle les détestait. Ou plutôt : Ils lui répugnaient. Suceurs de sang. Monstres. Elle les mettait tous dans le même sac. Quelques mots lui venaient pour définir sa… race : hautains, fiers, sanguinaires, insensibles, manipulateurs, capricieux. Oui, elle était injuste. Parmi tous ces cannibales, il y en avait sûrement qui aimaient les pauvres créatures. Il y en avait probablement qui étaient plus faibles, bien plus faibles que leurs repas. Et puis… ceux qui se mariaient avec ces êtres qui auraient normalement dû finir dans leur assiette. Oui, elle était injuste. Certains de ces vampires faisaient encore plus humains que les humains. Comme le bras droit du Président. Ichijou, qu’il s’appelait. Ou cette level D blonde, excentrique et surexcitée. Rine Akatsu. Une mordue qui se fichait de ce qu’elle était devenue, pourvu qu’elle puisse embêter les autres et retrouver son frère. Oui, décidément, Ai était injuste. Cette partie, ce côté de la nuit, elle ne voulait pas le voir. Elle ne voulait pas y croire. Parce que c’était injuste. Pourquoi n’avait-elle pas été comme ça ? Pourquoi n’avait-elle pas eu le droit de continuer à vivre avec ceux qu’elle aimait ?
Dieu n’existait pas. Alléluia.
« La graine ne choisit pas là où elle doit s’échouer.
Le mot « destin » n’est qu’un prétexte fallacieux. »
Ai était en colère. Contre elle, et contre celui qui lui avait écrit un tel chemin.
« Fane, fane la fleur… Eternue à ton propre pollen,
Assèche-toi avec ta propre sève. »
Les autres, elle n’osait pas les approcher. En fait, elle avait peur. Peur de ne pas pouvoir se rappeler qu’ils étaient différents. Peur de les briser trop rapidement. Peur de céder. Elle en avait déjà fait une amère expérience. Les hommes naissaient poussières et mouraient poussières. Trop volubiles, ils ne se rendaient pas compte de l’épée de Damoclès qui tournoyait au-dessus de leur tête. Il leu arrivait parfois de se montrer odieux et cruels, mais il fallait être indulgent. Ils étaient nés proies, démunis contre leurs prédateurs. Et n’avaient rien pour se protéger. Même pas leurs armes de ferrailles. Du gibier qui doit être traqué. Et en plus de ça, ils ne savaient en aucun cas quoi que ce soit de cette sombre mascarade. Parce que, depuis leur naissance, on leur avait inculqué l’idée que tout n’était que fable. On leur avait retiré tout ce qu’il fallait pour les rendre encore plus vulnérables. Simples mortels.
La paix était impossible. Ce monde s’avérait être bien trop pervers. Le directeur se rendait-il seulement compte que son projet n’était qu’une comédie grotesque qui cachait bien mal la tragédie qui se tramait ? Certainement que non. Il vivait depuis bien longtemps, plus longtemps qu’elle ; et si autrefois il fut un redoutable hunter, ces cauchemars emplis de réalité avaient sûrement dû lui faire perdre la tête, jusqu’à se laisser embrumer complètement l’esprit.
« Il est impossible de trouver le bonheur dans cet univers… Il serait temps que quelqu’un en prenne conscience. »Sentant son souffle se calmer, Ai s’autorisa à rouvrir les paupières. La lumière –pourtant faiblarde- du couloir la firent d’abord cligner des yeux. La brûlure de son gosier était toujours présente. Mais il fallait avancer encore, jusqu’à l’infirmerie. En fait, elle n’avait pas spécialement envie de se retrouver au milieu des volutes de camphre. Juste d’être seule. Quoiqu’il en soit, elle allait devoir faire un petit effort. Tant pis. Et elle mordit violemment son poignet. Elle sentit la douleur lors de la pénétration des crocs dans sa chair, ainsi que le liquide rouge au goût de rouille s’écouler de la plaie. Elle lécha ce qui perlait.
La level B était arrivée à tituber sur encore quelques mètres, une sale migraine et la saveur métallique emplissant sa bouche ; quand elle fut projetée en arrière, la faisant flageoler de plus belle. Un peu sonnée, son regard papillota pour s’éclaircir et elle réussit à le fixer sur la personne qui l’avait bousculée.
-« Fais attention où tu poses tes pieds, déchet ! »A ces mots, la vampire cilla légèrement. C’était un jeune homme brun, à l’odeur des Night Class, assez grand, l’air méprisant. Son aura avait quelque chose d’intimidant…
« Sang-Pur. »
Il n’y en avait que deux, de la gente masculine à l’Académie. L’un était Kaname Kuran, le maître des buveurs de sang. Donc celui qui se dressait devant elle était Eliot B. Faust.
Etrangement, elle ne parvenait pas à détourner les yeux, fascinée. D’une certaine part, elle s’en moquait éperdument –comme de tous les contacts qu’elle avait pu avoir ici. Sauf 3 : Hanabusa, Otomiya et la bonne qui l’avait sauvée.
D’un autre côté… Il émanait de lui un tel naturel qu’elle en était déconcertée. Il rassemblait tous ses critères qu’elle attribuait à l’espèce. Il semblait être un « je-m’en-foutiste » en exemple. Atypique. Il ne faisait pas semblant, n’avait pas l’air de vouloir se donner une façade.
Et bizarrement, pour la première fois depuis un nombre incalculable d‘années, Ai Enma perçut un sourire s’esquisser sur ses lèvres.
[Désolée pour le big retard ><]